Κυριακή 9 Μαρτίου 2008

Justice et système politique

Georges CONTOGEORGIS

JUSTICE ET SYSTÈME POLITIQUE.
LA QUESTION DE LA RESPONSABILITÉ POLITIQUE


Resumé

La justice et, dans ce cadre, le concept de responsabilité politique sont définis en fonction de type du système politique en place. La responsabilité politique est directement liée à la relation établie entre la justice et la politique. Le principe fondamental recommande que le détenteur souverain de la politique se situe au dessus de la loi, et par conséquent sa praxis politique ne relève pas de la justice. En ce sens, les systèmes qui projettent la constitution de la politique en termes de pouvoir souverain (par exemple le système représentatif limité ou inféré) ne reconnaissent pas la responsabilité politique de la classe politique vis-à-vis du corps social et donc la compétence de la justice sur la politique. Par contre, dans les systèmes qui se situent à l’opposé du pouvoir souverain, en l’occurrence la démocratie, le délégué politique est entièrement soumis au principe représentatif et par extension à la justice. Désormais, c’est le «démos», le corps social politiquement constitué, dont la politique est exemptée de la justice.


L’hypothèse de base est ici que la question de la responsabilité politique est tributaire de l’idée de la justice et, au-delà, du contenu de la liberté qui y prévaut. Cela veut dire que le concept de responsabilité politique se différencie selon la typologie des systèmes politiques qui, à leur tour, répondent à la nature et à l’évolution du cosmosystème global. Nous nous proposons d’orienter notre problématique sur le paradigme du cosmosystème anthropocentrique et, plus précisément, sur les deux principaux systèmes politiques qui lui correspondent, la représentation et la démocratie. Leur introduction de concert dans notre problématique est nécessaire pour des raisons d’intelligence de la question mais surtout parce que la modernité a été conduite à définir la démocratie comme son contraire exact, c’est-à-dire la représentation, voire même son expression moderne, qui est tout simplement limitée ou inférée (indirecte) et au fond pré-représentative si on la compare au principe représentatif d’ensemble.
En effet, la différence entre la représentation et la démocratie est fondamentale. L’une traduit le stade post-féodal primaire qui donne accès à la liberté individuelle dans la vie privée et à un corpus de droits socio-politiques, l’autre correspond à un système qui cumule les libertés individuelle, sociale et politique. Notre approche de la responsabilité est susceptible, semble-t-il, de mettre en valeur les différences fondamentales des deux systèmes et par conséquent la nature non démocratique de la représentation, voire du système pré-représentatif de la modernité.
Nous envisagerons dans ce cadre la question de la responsabilité politique sur trois plans: celui de la représentation primaire ou inférée (indirecte); celui de la représentation achevée ou plutôt de la représentation tout court; celui de la démocratie.

1. Le problème de la responsabilité politique s’offre potentiellement à l’examen en fonction :
a. de son contenu
b. des acteurs impliqués, à savoir l’obligé (celui qui porte la responsabilité politique) et l’ayant droit (le bénéficiaire) de la responsabilité politique
c. du détenteur de la responsabilité politique.

Le contenu de la responsabilité politique est directement lié à l’objet de la politique et est une conséquence de la compétence politique qui est virtuellement inhérente à toute société politiquement constituée. La compétence politique contient par définition la responsabilité politique comme phénomène intrinsèquement attaché à la fonction politique. Toutefois, la responsabilité politique varie du contenu de la politique suivie (elle est profitable, correcte ou nuisible pour le bénéficiaire) à l’exercice de la fonction politique (elle se situe dans le cadre ou en dehors de l’ordre juridique) ou à son appropriation (phénomène de la corruption, etc.). D’un autre point de vue, la responsabilité politique inclut un côté politique au sens strict du terme, qui est lié à la confiance attachée au personnel politique dans la gestion des affaires générales, et un côté juridique qui couvre la responsabilité tout court, à savoir devant la loi. L’une, la responsabilité politique au sens strict, est un fait lié au mandat qui est octroyé au personnel politique; l’autre, la responsabilité juridique, concerne le contenu de la politique appliquée, y compris son harmonisation avec la volonté du mandant.
Le problème de la responsabilité politique surgit en principe là où se produit une différenciation entre détenteur ou agent de la politique et ayant droit au résultat de la fonction politique. Le principe fondamental est que la responsabilité politique joue en faveur de l’ayant droit (bénéficiaire) de la politique et se trouve donc en relation avec le détenteur ou agent de la politique, qui n’est toutefois pas en même temps le maître de la compétence politique. Mais si l’agent de la politique est au fond le maître de la souveraineté politique, il ne porte pas de responsabilité politique, y compris s’il n’est pas lui-même le propriétaire et donc le bénéficiaire direct de la politique.
Par suite logique, celui qui est compétent pour exercer la responsabilité politique, c’est en principe l’ayant droit (le bénéficiaire) de la politique. Mais cette opinion rejoint des considérations liées à sa position dans la fonction politique, ce qui suggère que la justification de la compétence en matière de responsabilité présuppose en général, au minimum, la réunion dans la même personne d’une certaine compétence politique et au maximum la coïncidence du bénéficiaire de la politique et de la qualité de détenteur de celle-ci.
L’introduction, dès le départ, de l’hypothèse selon laquelle la responsabilité politique pèse sur le mandataire et non sur le maître de la politique relie directement la base de l’argument au contenu de la liberté. En effet, toutes deux, la responsabilité politique au sens strict du terme et la responsabilité juridique, ont partie liée avec le développement de la liberté, du fait qu’elles renvoient à la relation entre le social et le politique, et au-delà, avec la place de l’individu dans le système politique. Ce qui nous ramène à la remarque initiale selon laquelle la responsabilité politique diffère, dans son appréhension, en fonction du système politique.
Suivant l’hypothèse cosmosystémique, nous pouvons distinguer deux types fondamentaux de systèmes politiques : le type despotique et le type anthropocentrique.
Le type despotique introduit, comme ayant droit et détenteur de la politique, le despote. Le propriétaire des moyens de production et celui de la société coïncident en la même personne qui, en l’occurrence, se pose aussi par définition en propriétaire de la politique. Dans le système despotique, est responsable politiquement le membre de la société qui ne gère pas les affaires relevant de sa compétence conformément à l’intérêt ou à la volonté du despote, ou qui s’approprie une part de ses biens, ou conteste le despote ou son système, etc. Il va de soi que le mode de gestion de la politique par le despote ou de disposition des biens qui lui échoient n’est pas soumis à contrôle. Le despote est philanthrope, prodigue, économe ou autoritaire. Mais il n’est pas responsable et ne rend donc pas compte de ses actes. Exemple paradigmatique : celui de la monarchie absolue des temps modernes où les fonctionnaires de l’État despotique étaient entièrement responsables devant le monarque. Or, à la compétence du détenteur de l’État despotique échoient aussi bien la responsabilité politique au sens strict que la responsabilité juridique.
Le type anthropocentrique, se fondant sur la liberté de l’être humain, reconnaît en principe la société comme ayant droit de la politique. Cela veut dire que la responsabilité politique appartient à la société à titre de droit et que celui qui est mandaté pour exercer la fonction politique est responsable devant le corps social. En réalité, cependant, ce principe se nuance en fonction du développement des paramètres anthropocentriques de la société. Parfois la distinction entre ayant droit de la politique (de son «produit») et détenteur de la politique (comme fonction) est constitutive, parfois ces deux qualités coïncident en la « personne » du bénéficiaire, à savoir le corps social.
Le système anthropocentrique primaire introduit comme principe constitutif la dite division du travail social et en fait la dichotomie entre société et politique. La société est formellement désignée comme ayant droit de la politique. Mais le détenteur de la fonction politique, qui se constitue en pouvoir souverain à base représentative, demeure un «usufruitier» de la politique. À cette phase, l’État apparaît comme paramètre tiers autonome qui absorbe le système politique et monopolise donc la compétence politique au nom de son propre intérêt, souvent caché derrière des notions abstraites (par exemple celle de l’«intérêt national», «public» ou «général»), opposées à l’idée de l’«intérêt commun» qui fait référence directe à la société. En conséquence, la nature de la politique ne change pas par rapport au système despotique précédent, bien que, dans le cadre du pouvoir de l’État, fasse son apparition une certaine différenciation des fonctions politiques. Elle acquiert cependant une légitimation et une référence autres quant à son but.
Dans le contexte de ce système, le contrôle politique, de même que l’ensemble de la fonction politique, reste une affaire exclusive de l’État, voire même de ses instances politiques. L’ayant droit de la politique en est écarté. Parallèlement, le concept de la responsabilité politique est défini de manière restrictive. Il contient uniquement sa dimension politique au sens strict et celle-ci est limitée à une fonction d’alternance au pouvoir. L’agent du pouvoir politique est évalué «électoralement», au sens où il revient au bénéficiaire de la politique, en l’occurrence au corps social, de se prononcer à l’expiration de son mandat et de décider s’il va lui renouveler sa confiance.
Cette réalité va de pair avec une conception restrictive du principe représentatif, selon laquelle l’ayant droit (le bénéficiaire) de la politique «concède» au représentant la totalité de la fonction politique y compris sa qualité de mandant (contrôle, harmonisation, révocation, etc.), à l’exception de ladite élection qui se résume finalement à un simple droit de légitimation du personnel politique au pouvoir. Le corps social n’ayant pas la qualité de mandant ne forme pas un démos – une «arché» constitutive de la politéia –, mais il est réduit à une sphère privée. Dans ce cadre, le détenteur du pouvoir est en fait un «usufruitier» et non pas seulement le mandataire de la fonction politique, et en tant que tel, il n’est pas considéré comme responsable en droit de ses options et de son action politique. L’unique exception à cette règle est la tentative de renversement de l’ordre établi ou la trahison et éventuellement le «péché» d’appropriation économique. Mais ces exceptions elles-mêmes dépendent plus ou moins du consentement du pouvoir (ou plutôt de son élément «souverain»), tout comme la vie privée et sociale en général (principe d’immunité), et sont habituellement jugées par un organe juridictionnel spécialement constitué. En d’autres termes, l’agent de la fonction politique n’est pas contrôlé, c’est-à-dire n’est pas «jugé» par le bénéficiaire de la politique pour le contenu de son action. La fonction politique du pouvoir se situe au-dessus de la loi et en cela, elle sort de la compétence juridique en général, et de ce fait, de la compétence juridictionnelle du bénéficiaire de la politique ou ne serait-ce que d’un acteur politique tiers qui agirait à sa place.
Dans le système représentatif primaire ou inféré (indirecte), la justice s’inscrit, en principe, comme une fonction non politique. L’institution appartient à l’État, mais constitue toutefois une autorité administrative et non pas politique. C’est pourquoi elle n’a pas besoin de légitimation par l’ayant droit de la politique, en l’occurrence le corps social, et son contrôle par celui-ci n’est pas concevable. L’approche administrative de la justice va de pair avec sa compétence, qui se focalise essentiellement sur le domaine de la sphère privée ou sociale (crimes contre la vie, la propriété, etc.) et s’étend jusqu’à la zone de la garantie de l’ordre politique établi (essentiellement, à des questions tenant à sa sécurité, tels des comportements «déviants» de citoyens vis-à-vis des choix du détenteur de la politique, etc.).
Ainsi, le concept de droit politique et, au-delà, de justice politique faisant défaut, ni l’agent de la fonction politique ni ses options politiques ni même les questions liées à la nature du système politique ne relèvent de la justice de l’État ni, bien sûr, d’une compétence juridictionnelle de l’ayant droit (bénéficiaire) de la politique.
La version achevée du système représentatif se distingue de la représentation primaire en ceci: l’ayant droit de la fonction politique est soumis à la responsabilité politique au sens strict et assurément à la responsabilité juridique. Cette compétence échoit en principe au corps social qui assume, outre la fonction de légitimation ou du moins d’élection des agents de la politique, d’autres compétences qui vont de pair avec la qualité de mandant, telles celles de contrôle, d’harmonisation, de révocation. La relation entre société et politique qui auparavant s’élaborait fondamentalement au niveau de l’articulation du rapport de forces des groupes intermédiaires autour du pouvoir (concept de «société civile») se constitue maintenant plus clairement dans le contexte d’un système politique auquel est associée la société, conçue comme démos, à savoir comme une entité politiquement constituée, et dotée d’une fonction autonome.
Dans la représentation achevée, donc, la politique relève de la compétence discrétionnaire de son ayant droit, qui ne se contente plus de légitimer (ou d’élire) son agent, mais, surtout, le juge, au sens où il a le droit de définir lui-même le contenu de son mandat et par suite, de le contrôler dans un cadre politique institutionnellement conçu , de le poursuivre en justice pour ses choix, de le punir ou d’exiger la réparation du préjudice qu’il a subi du fait de la politique appliquée. Pendant la période qui sépare l’institution représentative primaire de la politique de sa phase achevée, le contrôle juridique de son agent échoit plutôt à la compétence d’un organe juridictionnel autonome qui fonctionne dans le contexte du pouvoir politéien. Mais ni l’action politique ni ses agents ne sont au-dessus des lois. Au fur et à mesure que le système devient représentatif, la fonction politique au sens strict et juridique revient de plus en plus au corps social (au démos).

Aux antipodes de ce système, dans le régime qui va de pair avec l’anthropocentrisme achevé, à savoir, en l’occurrence, la démocratie, la politique est absorbée par le corps social constitué en démos, si bien que le détenteur («l’usufruitier») de la fonction politique et l’ayant droit (le bénéficiaire) de la politique (du produit politique) se confondent. De ce point de vue, la démocratie se situe à l’opposé des systèmes à pouvoir autonome, se définit même comme la négation de tout pouvoir qui annule l’autonomie politique de l’individu.
La transformation de la représentation, de système politique en simple institution de la démocratie, modifie de fond en comble la pyramide politéienne. Nous avons vu que dans la représentation primaire ou inférée (indirecte), la politique est conçue comme une tautologie du pouvoir, à savoir comme un paramètre politéien autonome, constant et souverain. Le principe de la dichotomie entre le social et le politique suggère avant tout que la société est définie fondamentalement comme un espace «privé» et en tout cas, qu’elle se constitue en corps politéien momentané, lorsqu’il s’agit de légitimer l’agent de la politique. Par conséquent, dans la mesure où l’agent de la politique est légitimé (ou même élu) par le corps social mais n’est pas contrôlé par lui, il échappe également à la compétence de la justice politéienne. Cette dernière est subordonnée, en tant que partie administrative de l’État, au pouvoir politique et ne dispose en aucun cas de la légitimation du corps social nécessaire pour soutenir sa compétence en matière de politique.
Dans la démocratie, la suppression de l’autonomie de la politique, résultat de l’absorption de celle-ci par le corps social qui se constitue en corps politique, fait de la représentation la «servante» de la société. L’État n’incarne plus le système politique qui s’identifie au démos. Le représentant n’est plus un agent de la fonction politique que dans la mesure où il est chargé d’assumer une compétence concrète de caractère consultatif ou strictement exécutif, mais non plus gouvernementale ou législative. En cela, le mandataire de la compétence politique, qui devient en plus collégial, est contrôlé en tout, pendant toute la durée de sa fonction politique, et naturellement soumis à la reddition de comptes, c’est-à-dire quant au résultat de ses conseils (fonction rhétorique) ou de son action (fonction de pouvoir). Le temps du mandat est limité et simplement indicatif, au sens où il est subordonné à la volonté révocatoire inconditionnelle du mandant. Aristote signale que dans la démocratie, le «crime politique» – le préjudice occasionné au bénéficiaire de la politique par son mandataire –, parce qu’il provoque un préjudice collectif, entraîne des peines plus lourdes que le crime «privé» qui, en général, lèse uniquement la victime. On pourrait dire que cette remarque revêt une importance cruciale si on la combine avec le fait que la «responsabilité politique» sied uniquement au mandataire de la politique ou à celui qui a l’initiative de la contestation de la politique, mais non au «propriétaire» de la fonction politique qui, en l’occurrence, est le corps social.
Ainsi la place de la justice dans le système politique et par rapport aux trois niveaux que nous avons évoqués au début se définit-elle à partir du «maître» ou du détenteur («l’usufruitier») de la souveraineté politique. Le «maître» de la politique détient aussi la compétence politique au sens strict et juridique de contrôle, mais il ne lui est pas soumis.

2. La littérature moderne et contemporaine mène au constat que la question de la responsabilité politique et plus généralement de la relation qui unit la justice à la politique est posée, de manière uniforme, sous l’angle du système en place. Elle avance même comme un postulat la supériorité des réglementations contemporaines, qui de ce fait ne sont pas susceptibles de démarche comparative avec un autre exemple historique quelconque .
Nous estimons que ce point de vue non seulement ne tient pas sur le plan scientifique mais est arbitraire sur le plan historique. Nous invoquerons à l’appui de notre raisonnement l’exemple de la cité grecque, car elle présente, à notre avis, un intérêt extrême pour l’étude du phénomène, en raison de sa nature anthropocentrique ainsi que de l’éventail typologique qu’offre son évolution. Ensuite, nous tenterons une évaluation comparative du précédent anthropocentrique hellène avec le paradigme politéien moderne.
En matière de responsabilité politique, nous distinguons les stades suivants dans l’évolution de la cité .
Premièrement, le stade de l’époque antérieure à Dracon (VIIe s. a. J.-C.) et, en un sens, à Solon. Dans «l’ancienne constitution, antérieure à Dracon» , écrit Aristote, celle qui comprend la monarchie à vie et la monarchie élective , la politique appartenait dans son ensemble à la «noblesse» féodale (les eupatrides).
Le passage à la monarchie élective semble marquer une période de réaménagements au sein de la classe des «nobles» (eupatrides), au moment où l’affaiblissement de la royauté assure la promotion d’institutions collégiales par lesquelles se trouve consacrée la souveraineté politique des membres de la «noblesse». Les institutions des « thesmothètes » et de l’Aréopage, apparues pendant cette phase, confortent la réalité nouvelle qui s’est instaurée dans la relation entre la monarchie et la classe des nobles, essentiellement foncière .
Les «thesmothètes» et l’Aréopage sont des corps collégiaux composés de «nobles» et disposant au sein de l’État de compétences de gouvernement, de législation et de justice. La nature de ces corps traduit une réalité politéienne en principe despotique, de type transitoire. On convient toutefois qu’à côté de la société «eupatride» existent aussi des classes d’hommes libres – couches de paysans propriétaires, de commerçants et manufacturiers – dont les revendications se révèlent capables de troubler la scène politique.
L’époque des nomothètes (Dracon à Athènes, etc.) marque le passage du système en principe despotique à une phase différente du point de vue typologique, où prévaut la dynamique anthropocentrique. Le projet de cette période se concentre sur l’objectivation du droit et de l’administration de la justice, qui s’exprime par la découverte et la déification de la loi. Ce projet revendique la reconnaissance institutionnelle de l’individu comme sujet de droit et par conséquent, la focalisation du principe d’égalité sur sa personne. Dans la mesure où il est reconnu que chaque individu a une valeur égale devant la loi, cette dernière doit être claire et impersonnelle – c’est-à-dire écrite a priori – et l’exercice de la justice doit appartenir à un organe politéien indépendant.
En disant que « Dracon établit les lois » , Aristote se réfère précisément à la création d’un environnement politéien de droit – un «État de droit» – auquel étaient désormais soumises de manière précise la vie privée et la fonction socio-politique de l’individu. Cependant, le principe du «gouvernement conforme à la loi» , dont fait état Aristote, et le droit de tout un chacun de recourir à la justice s’il était victime d’une injustice n’introduisent pas le principe de la responsabilité politique des détenteurs du pouvoir politique. La justice est définie de manière restrictive, en liaison avec la sphère privée et sociale de la liberté (la liberté individuelle). La politique s’inscrit comme un droit, et non comme une liberté, et, d’un autre point de vue, comme un concept doté d’un caractère «salvateur» pour les couches sociales. C’est pourquoi la classe politique, bien que légitimée par une élection au pouvoir politique, se situe au-dessus de la loi, du moins pour ce qui est de l’exercice de la fonction politique.
Cette période, qui coïncide avec l’apparition du système représentatif limité (VIe s. av. J.-C.) dont Solon est l’illustration la plus célèbre, peut être qualifiée de première version anthropocentrique globale de la société de la cité. Au cours de l’ère précédente, le caractère double de la société (coexistence d’éléments despotiques et anthropocentriques au sein de la cité) avait créé un tissu de dynamiques qui tendaient à une confrontation explosive. Le projet de la politéia de droit (l’objectivation du droit, etc.), de l’application de la justice, etc., immédiatement antérieur est, certes, fondamental, mais non plus suffisant pour la construction voire même pour la consolidation anthropocentrique de la société. En effet, premièrement, les couches sociales les plus défavorisées, qu’elle concerne essentiellement, ne disposent pas du soutien social indispensable que suppose la matérialisation de l’égalité devant la loi ; en second lieu, le fait que l’agent du pouvoir politique demeure souverain et ne soit pas subordonné à la justice lui confère l’entière possibilité de réajuster le « dispositif » de la politique et selon le cas, de gouverner selon des critères de classe ou de s’approprier le bien «commun».
La question sociale devait se poser dans une perspective tantôt révolutionnaire, tantôt réformatrice. En tout état de cause, on jugea que l’égalité devant la loi n’offrait pas les garanties nécessaires à la consécration de la liberté individuelle – composante primordiale de l’anthropocentrisme – si elle ne s’accompagnait pas d’un minimum de garantie ou de prévoyance sociale . Mais la réalisation du projet social exige au préalable la transformation du système politique, étant donné que c’est à lui, c’est-à-dire au pouvoir politique, que revient sa mise en œuvre au niveau de la société dans son ensemble. Le problème politique fut posé, au cours de cette phase anthropocentrique primaire, sous la forme d’une prétention à la désappropriation du pouvoir politique. Dans ce cadre, on chercha à attribuer la fonction politique à une entité institutionnelle tierce, neutre, «l’État», dont l’agent était non plus son propriétaire formel ou réel mais élu et donc présumé représentant de celui-ci par la totalité du corps social .
Le système politique de l’aisymnéteia , apparu à l’époque des nomothètes (VIe s.), définit précisément le principe électif, qui établit une relation entre le social et le politique à base représentative. La justice y est constituée en autorité dans le cadre de l’État. Du point de vue du contenu, elle se concentre sur l’application d’un ordre juridique qui vise à la préservation de la liberté individuelle et des fondements constitutifs du système social auxquels elle renvoie. Elle n’englobe donc la politique dans ses compétences qu’en cas d’exercice abusif, par exemple de corruption, de la fonction politique ou de renversement du régime global . La responsabilité du détenteur du pouvoir reste politique, elle est envisagée dans son cadre politique étroit, sous la forme d’alternance et donc du problème du renouvellement ou non du mandat. Il n’en ressort pas que la compétence du corps social comprenne aussi la révocation du mandat, qui, de toute façon, avait une durée déterminée .
Aristote signale sur ce point l’importance capitale, pour la mutation typologique du système politique, de l’introduction du scrutin universel, et même, dans des conditions exceptionnelles, obligatoire , ainsi que la compétence juridictionnelle du démos en matière d’appel. En d’autres termes, la consécration du caractère individuel et universel du vote et, par voie de conséquence, la consolidation du fondement anthropocentrique de la représentation politique entraînèrent, dans un second temps, la responsabilité politique de son agent. La référence à la compétence juridictionnelle « d’appel » du démos laisse entendre que la justice de « l’État » se trouve dorénavant, pour certaines affaires du moins, sous le contrôle en second ressort du corps social. Une troisième compétence, en faveur du citoyen – sa possibilité de recourir à la justice non pas pour ne pas être victime d’une injustice, comme sous Dracon, mais pour porter plainte contre l’auteur d’une injustice en général – devait ouvrir la voie à la soumission, par la suite, du pouvoir politique au jugement juridictionnel du corps social qui, pour l’exercer, se constitua en corps politique.
Enfin, il est noté que même quand l’agent ou le détenteur du pouvoir politique, dans le système représentatif primaire de la cité, est considéré comme juridictionnellement irresponsable pour sa fonction politique, il ne jouit pas pour autant de l’immunité pour ce qui est de sa vie privée et sociale. Même le tyran de cette période, bien que souvent il ne soit pas élu formellement par le peuple, s’inscrit en cela dans les prescriptions de l’aisymnétie. Pisistrate , cité par un citoyen, se présenta devant des juges, et même, d’ailleurs, non pas devant un tribunal spécial mais devant le tribunal politéien compétent.
Le transfert vers le corps social de la compétence, en matière d’«élections et de responsabilités» des détenteurs du pouvoir, et la consécration de la collégialité des autorités représentatives , peu à peu introduits après la phase primaire du système représentatif, n’empêchent pas la relation entre société et politique de favoriser la survie du pouvoir politique. Le pouvoir politique continue à conserver la «maîtrise» de la fonction politique – même si, souverain au départ, il se relativise. Cependant, l’avènement de la société à la qualité d’ayant droit de la praxis politique, dès la période anthropocentrique primaire, et notamment sa transformation en paramètre constitutif du système – avec une compétence s’étendant, au-delà de l’élection, au contrôle et par extension à la révocation des autorités représentatives ainsi qu’à la compétence judiciaire à leur égard – marquèrent le passage à une forme achevée de représentation.

3. La coupure, pour ce qui est de la question de la responsabilité politique, résulta du passage des systèmes de pouvoir (représentatif ou non) à la démocratie. Le démos – le corps social politiquement constitué – y est, comme dans le système représentatif, politiquement irresponsable, à savoir qu’il se situe au-dessus de la loi. Dès lors, c’est lui qui est maître et donc ayant droit direct et détenteur de la fonction politique. De même la justice, suivant en cela la fonction politique, d’autorité étatique qu’elle était – c’est-à-dire administrative –, échoit pour l’essentiel au corps social constitué sur le plan politéien. La responsabilité politique concerne les agents «représentatifs» qui, comme nous l’avons vu, cessent de former un système politique à proprement parler et deviennent une simple institution du nouveau système politique, la démocratie.
Dans ce cadre, la responsabilité politique se pose dans toutes ses dimensions et par conséquent, suit de près l’évolution du statut de l’institution «représentative» dans la démocratie. Le personnel politique est ainsi évalué en bloc, c’est-à-dire quant à ses choix ou suggestions (la fonction rhétorique), à la correspondance de ceux-ci avec les intérêts du démos, mais aussi à l’efficacité de sa gestion politique.
Cette responsabilité n’est cependant pas liée à une approche restrictive de la liberté (du discours politique et de la praxis politique) mais à l’harmonisation de la politique, qui échoit à la fonction «représentative», avec la volonté politique du démos. La responsabilité, donc, va de pair avec une conception de la représentation, en tant qu’institution de la démocratie, qui ressemble à un mandat strictement défini, limitativement borné, contrôlé au quotidien, révoqué sans restrictions, tandis que le principe de la collégialité, de l’unanimité en matière de délibération à l’intérieur du corps collégial et de la brièveté du mandat s’opposent à la tendance naturelle du pouvoir à s’autonomiser.
Ainsi, au contraire de la représentation souveraine, où le politique est attaché au pouvoir qui incarne un mandat et en particulier une fonction politique autonome non soumise au contrôle du mandant, dans la démocratie, l’institution de la représentation couvre un mandat strictement délimité, de type formellement exécutif, qui implique en outre la compétence politique universelle, préventive et répressive, du démos. En l’occurrence, le personnel politique est soumis à la loi pour ce qui concerne sa fonction politique et ne jouit d’aucune immunité. Il est entièrement responsable aussi bien du point de vue politique au sens strict que juridique. En face, le démos, le corps social politiquement constitué, est au-dessus de la loi, ce qui signifie qu’il ne rend pas compte de ses choix . Il est le corps «qui a la maîtrise» de la politéia.
Aristote se réfère à la séparation des fonctions politiques par secteur thématique (les «μόρια»), pour souligner en particulier que leur synthèse traduit un résultat politéien différent. Il connaît clairement la nature de la différence entre « gouvernement », « législation » et « justice », qu’il tire d’ailleurs de la réalité vécue par les systèmes politiques de la cité. Mais cette séparation est valable en soi comme agencement institutionnel à l’intérieur d’un système politique concret, permettant de comprendre sa mutation morphologique. En revanche, l’évolution typologique du système politique a lieu uniquement par la transformation de l’élément souverain (le «μόριο») qui a la maîtrise de la politéia. La référence aux «trois fonctions («μόρια») de la Politeia» dans la Politique correspond au schéma de l’évolution à l’intérieur de la cité, des systèmes de pouvoir aux systèmes de démocratie. Aristote distingue en effet entre : a) la fonction qui «délibère sur les affaires communes» ; b) les «magistratures» ou pouvoirs, c) la «fonction juridique». Dans ce cadre, la fonction «principale» est celle qui décide «de la paix et de la guerre, de contracter des alliances ou de les rompre, de faire des lois et de les abroger, d’infliger la peine de mort, d’ostracisme et de confiscation, ainsi que d’élire et de demander des comptes aux magistrats». La question est donc de savoir si ces compétences, qui incluent les trois fonctions thématiques de la politique, sont possédées par le démos, le corps social politiquement constitué, ou par les autorités, le pouvoir politique différencié.
Considérant ce schéma, nous remarquons que dans le système représentatif primaire, la répartition des fonctions de la politique est une affaire interne du pouvoir étatique. L’État concentre le monopole des fonctions de la politique (tant du mandant que du mandataire), mais entreprend de les répartir entre trois agents de pouvoir autonomes, afin d’éviter sa tentation totalitaire. C’est pourquoi on parle de «séparation des pouvoirs» et non pas des fonctions politiques. Mais si le système de la séparation des fonctions par pouvoir contribua substantiellement à défaire l’État de son caractère despotique, il ne parvint pas en fin de compte à éviter la confusion des compétences, au fur et à mesure que la société devenait anthropocentriquement homogène. L’agent politique «majoritaire» (par exemple le parti politique), facteur par excellence du système politique, conduit à l’unification matérielle des fonctions «législative» et «exécutive» (en fait, gouvernementale), et la fonction judiciaire, en tant que dimension administrative de l’État, reste subordonnée à la volonté de l’agent du pouvoir politique.
Quoi qu’il en soit, l’agencement institutionnel des fonctions de la politique dans le cadre de l’État ne transforme pas un strict système de pouvoir, doté de formes de représentation typiquement primaires, en démocratie . La démocratie présuppose obligatoirement que le corps social constitué sur le plan politéien délibère, comme le souligne Aristote, traduisant en l’occurrence son principe fondamental , «sur tout» , c’est-à-dire concentre la compétence politique universelle.
La compétence politique universelle du démos et, par extension, le transfert du principe d’égalité du domaine social (essentiellement devant la loi) et économique (devant la propriété) au domaine politique mènent à un agencement institutionnel similaire des fonctions de la politique dans le cadre du corps social politiquement constitué. Ainsi la «responsabilité» comme compétence dans la démocratie appartient-elle au maître des fonctions (des «μόρια» de la politique, tout comme dans la représentation primaire. En l’occurrence, c’est le maître qui change avec le changement de la nature du système politique, non la logique de la «responsabilité». Mais alors que dans le système représentatif primaire de pouvoir, le «contrôle» de la politique est inconnu, dans la représentation achevée il devient un enjeu majeur du processus politique et échoit, en partie du moins, au corps social politiquement constitué. Dans la démocratie, le principe de la représentation achevée est appliqué, à une différence près : le maître est désormais le démos, auquel appartient la compétence politique universelle, et non au pouvoir différencié.
La question de la manière de concevoir la politique est liée à ce qui précède. Selon le point de vue qui privilégie la définition du phénomène politique en termes de pouvoir, le but de la politique est «opérationnel» et par conséquent, les trois fonctions de la politique – et dans ce cadre, la compétence de la responsabilité – doivent être attribuées à celui qui a la connaissance matérielle de l’objet. De même que le médecin est jugé par le médecin, de même les autres sont contrôlés par leurs semblables . En ce sens, le démos ne devrait avoir ni la compétence de l’élection et du contrôle ni la fonction de délibération (le gouvernement, la législation, etc.). Néanmoins, Aristote constate que le détenteur de la fonction politique en l’occurrence n’est ni le juge ni le membre de la boulé ni celui de l’ecclésia, mais le tribunal, la boulé et l’ecclésia du démos . Et il s’est prouvé que l’avis du grand nombre, selon le Stagirite, est supérieur à celui de quelques-uns ou d’un seul.
Mais la politique et, par extension, la question de la justice ne s’épuisent pas au domaine de leur « productivité » et, au-delà, de la constitution d’un projet qui tenterait de résoudre le problème de la liberté et de l’égalité dans la vie privée, individuelle. La marche vers l’intégration anthropocentrique que signifie le passage à la démocratie entend répondre à la question de la liberté politique et sociale. La liberté en matière sociale projette, au maximum, l’autonomie vis-à-vis du travail, et au minimum, la formation de relations de travail excluant la dépendance. En matière politique, la liberté entraîne l’autonomie de l’individu vis-à-vis du pouvoir, autonomie qui cependant n’est pas obtenue par la concession présumée ou expresse de la fonction politique à l’agent mandataire, mais par l’absorption de la globalité de la politique par la société. Liberté et pouvoir sont des concepts incompatibles, qu’elles concernent le plan individuel, social ou politique, car la liberté a pour mesure d’évaluation de son contenu l’autonomie.
La manière dont la liberté sera obtenue sur le plan social soulève un problème majeur quant à la façon dont sera atteinte en fin de compte la participation de l’individu à la redistribution du produit économique sans qu’il perde en totalité ou en partie son autonomie sous la forme du travail, ou pis, du travail dépendant. La question de la liberté sociale fut liée de manière indissoluble, pendant la période de la cité-État, à la liberté politique dans la mesure où l’on jugeait que l’exercice de cette dernière passait obligatoirement par la logique du «loisir» (σχολή). La réponse à ce double dilemme, qui devait mener au salaire politique , c’est-à-dire à la redistribution du produit économique par la participation du démos à la fonction politique, fut l’ambition profonde essentielle de la démocratie pendant la dernière phase statocentrique du cosmosystème hellénique.
En cela, face à la question de la compétence qualitative et, par extension, de la dimension «opérationnelle» de la politique, le régime démocratique ne laisse guère de marge d’hésitation : le démos, souligne l’oligarque Pseudo-Xénophon, préfère être libre, c’est-à-dire s’autogouverner, plutôt que concéder la fonction politique à un pouvoir différencié que posséderont «les plus compétents» pour prendre les décisions correctes .

4. Il ressort de ce qui précède que le modèle statocentrique grec de la cité, qui a franchi un parcours évolutif complet, du despotisme aux systèmes anthropocentriques, le point culminant ayant été l’achèvement démocratique, nous permet de nous faire une idée globale de la question de la responsabilité politique, en liaison avec le type de système politique. Cette position rend également possible une appréciation différente, plus distanciée, de l’approche de ce problème dans le contexte du système anthropocentrique moderne.
En effet, comme nous l’avons indiqué plus haut, la question de la responsabilité politique ne s’inscrit dans le système politique moderne qu’en cas d’appropriation du «bien public» et, exceptionnellement, quand l’ordre établi est en jeu (par exemple, quand il y a tentative de renverser le régime ou pour cause de trahison). En soi, la fonction politique se situe au-dessus de la loi. Plus précisément, la classe politique n’est pas responsable et en conséquence, n’est pas jugée pour son action politique, et pour ce qui est de sa vie en général, elle est protégée en principe par l’immunité. La notion de responsabilité politique au sens strict, vue du côté de la société, est exclusivement électorale, au sens où elle n’est évaluée que dans sa branche politique (approbation ou désapprobation des personnes ou des choix politiques). De même, le contrôle politique, qui est lui aussi une affaire du pouvoir, n’a pas de sens car, d’une part, il ne concerne que le gouvernement, le pouvoir législatif y échappant, et, d’autre part, la confusion effective des pouvoirs «exécutif» et «législatif», via le parti majoritaire, le rend caduc. En effet, le principe de la séparation des pouvoirs, qui se présente comme un acquis constitutif du système représentatif moderne, est subordonné à l’impératif de la dichotomie entre société et politique . Il devient donc un agencement endosystémique des fonctions de l’État qui monopolise la fonction politique, et non pas, du moins directement, la société qui relève du secteur privé. D’où aussi le lien de ce principe avec la connexion unificatrice imposée au système par la dynamique électorale mais aussi sa propre logique, qui veut que les acteurs politiques, en l’occurrence les partis politiques, gèrent les dimensions institutionnelles de l’État en termes de référence souveraine à la «majorité» .

De son côté, la justice est définie comme une autorité administrative, c’est-à-dire comme une fonction de l’État dont le cadre limitatif est fixé par le pouvoir politique. Or, par nature – elle n’a pas de légitimité sociale –, la justice n’est pas une fonction politique, et du fait de la souveraineté du pouvoir politique, la classe politique ne relève pas de sa compétence. La classe politique, étant directement «mandatée» par la société pour gérer librement l’espace public, à savoir l’État en tant que système politique et qu’autorité publique, n’est responsable que devant son mandant. Mais ce mandant n’est reconnu comme une entité politéienne constituée que pour l’exercice momentané de la fonction élective. Ainsi le contrôle politique du pouvoir fait qu’il concerne exclusivement l’approche critique des choix du personnel politique qui gouverne et non leur soumission à un jugement politique institutionnalisé, et encore moins juridictionnel . Une critique qui, du fait qu’elle ne s’inscrit pas dans un cadre politique constitué, confirme simplement la liberté individuelle du citoyen, mais en aucun cas l’existence d’une liberté politique. Ce qui confirme en fait le constat que la modernité ne reconnaît pas l’existence d’un droit politique et, au-delà, d’une justice politique ou, en d’autres termes, l’idée de crime et de préjudice politique .
Ces quelques remarques montrent que le système politique contemporain dans son ensemble et, plus particulièrement, la question de la responsabilité politique sont liés au stade en somme primaire d’évolution anthropocentrique que traverse de nos jours la planète. Cette approche n’est pas contradictoire, comme on pourrait le croire, avec la succession chronologique et notamment avec les progrès technologiques de l’époque anthropocentrique récente. Le cosmosystème grec a franchi, comme nous l’avons vu au niveau de la petite échelle, un parcours historique complet, alors que la période anthropocentrique moderne, tout en étant un dérivé typologique du cosmosystème grec, n’a pas réussi, pour des raisons qui n’ont pas lieu d’être exposées ici, à conserver et assimiler son « acquis ». Le passage du cosmosystème moderne à la grande échelle conduira finalement l’époque anthropocentrique à repartir de zéro, du point de vue des paramètres, des fondements institutionnels, idéologiques et sociaux.
Cela explique la nature primaire du système politique et, dans ce cadre, l’approche extrêmement restrictive de la responsabilité politique. Approche qui va de pair, en dernière analyse, avec la phase de la société civile à laquelle correspond la «modernité». Risquant une corrélation, en termes d’analogie, de la phase que traverse le cosmos anthropocentrique moderne avec celle de la période hellénique, on pourrait dire que l’époque moderne se situe tout juste dans la fourchette chronologique qui sépare les nomothètes (Dracon, etc.) et la fin du projet social (Solon, etc.).

En conclusion, la justice et, dans ce cadre, le concept de responsabilité politique sont définis en fonction du type de système politique en place. Le principe fondamental recommande que le détenteur souverain de la politique se situe au-dessus de la loi, et que par conséquent sa praxis politique ne relève pas de la justice. En ce sens, les systèmes qui projettent la constitution de la politique en termes de pouvoir souverain (par exemple le système représentatif limité ou inféré) ne reconnaissent pas la responsabilité de la classe politique vis-à-vis du corps social et donc la compétence de la justice – laquelle, en plus, n’a pas de légitimité politique – sur la politique. Par contre, dans les systèmes qui se situent à l’opposé du pouvoir, en l’occurrence la démocratie, le délégué politique est entièrement soumis aux impératifs du principe représentatif et, par extension, à la justice. Désormais, c’est le démos, le corps social politiquement constitué, qui détient la compétence universelle, y compris la compétence juridictionnelle, dont la politique est exemptée de la justice.
Cette conclusion nous amène à penser que le problème majeur de notre époque se concentre sur le besoin d’une redéfinition des concepts fondamentaux – tels que la démocratie et la représentation – et en dernière analyse, d’un réexamen de nos certitudes concernant notre acquis anthropocentrique. Cette prise de conscience aurait pu nous aider à élaborer une idée de perspective qui aurait indiqué que la phase ultérieure de responsabilité politique aurait dû s’adapter à un système représentatif plus achevé, qui toutefois, lui aussi, semble très éloigné de notre époque.

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